Chroniques
L'alphabétisation en Nouvelle-France
Quand Marguerite Bourgeoys ouvre la première école de Ville-Marie, en 1658, la population est majoritairement analphabète. Nombre de métiers ne nécessitent pas l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, et on ne perçoit généralement pas l’intérêt d’instruire les masses populaires. D’ailleurs, en Nouvelle-France, les livres sont coûteux, rarissimes et difficiles à obtenir.
En France, on trouve une situation similaire mais, malgré tout, durant le 17e siècle, surgissent plusieurs petites écoles où sont enseignés les rudiments de la lecture et de l’écriture. Ces deux habiletés sont perçues par les autorités religieuses comme des outils facilitant l’apprentissage des principes de la foi. Croyant à l’instruction, Marguerite Bourgeoys accepte de traverser l’océan en 1653 pour enseigner aux enfants des premiers colons de Ville-Marie et aux jeunes Amérindiens. Dès son arrivée, elle se met vaillamment à la tâche.
À l’occasion du 350e anniversaire de l’ouverture de la première école de Montréal, cette série de chroniques vous invite à en apprendre davantage sur l’alphabétisation en Nouvelle-France.
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Apprivoiser l’univers des lettres
Sous le Régime français, bon nombre de personnes participent à l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Des maîtres enseignent à leurs apprentis, des mères, à leurs enfants, et des maîtres ambulants offrent leurs services de village en village. Mais surtout, dans les villes et les faubourgs, des «petites écoles» tenues par des communautés religieuses offrent un tel enseignement aux enfants. De dimensions modestes, ces petites écoles n’ont habituellement qu’une seule salle de classe, située dans une maison ou un presbytère. Les écoliers, âgés d’environ dix ans, sont assis sur des bancs. La plupart d’entre eux ne fréquentent l’école qu’un an ou deux.
L’acquisition de la lecture débute inévitablement par l’apprentissage des lettres de l’alphabet. Quand les élèves sont en mesure de lire quelques mots, ils s’attaquent à des textes qui sont, le plus souvent, en latin. Généralement, les premiers textes qu’on leur présente sont des prières familières, telles le Credo ou le Pater, qu’ils ne font que reconnaître sur la page.
À la petite école, les livres utilisés sont des abécédaires et des ouvrages de dévotion tels le psautier et l’Introduction à la vie dévote. Ces volumes viennent de France et sont si rares que certaines religieuses entreprennent d’en copier à la main. Pour les maîtres de l’époque, enseigner la lecture à partir de textes pieux permet de familiariser les enfants à la fois à la religion et à la lecture, deux objectifs qui sont la raison d’être des petites écoles.
Après la lecture vient l’écriture, que seuls apprennent les enfants ayant la chance de rester à l’école au-delà de la première année. Ce savoir-faire est plus compliqué que la lecture, nécessitant plus de matériel et exigeant de l’élève qu’il s’exerce pour en maîtriser les gestes et les postures. Le matériel scolaire étant limité, le manque d’ardoises est parfois compensé par l’usage de bacs à sable.
Contrairement à la lecture qui est intimement liée à l’apprentissage de la religion, l’écriture est une habileté tournée vers les affaires du quotidien. Les élèves apprennent, par exemple, à rédiger une quittance, un bail, une procuration. En général, on voit moins la nécessité d’enseigner aux filles à écrire. On préfère les inciter à développer leurs habiletés en couture, un savoir-faire beaucoup plus utile pour elles.
Au 17e siècle, la plupart des élèves ne demeurent pas assez longtemps à l’école pour aller jusqu’au bout de leurs apprentissages. Certains d’entre eux n’apprennent qu’à épeler, d’autres ne peuvent lire que des prières ou n’écrire que leur nom. Dans la ville de Québec, à la fin du Régime français, on estime que 43 % des adultes sont en mesure de signer, taux qui est beaucoup plus bas à la campagne.
Les premiers livres lus par les écoliers, à l’époque de Marguerite Bourgeoys, sont des livres de piété. Dans la vie quotidienne, ces livres deviennent-ils leurs préférés? Pour en savoir davantage sur les pratiques de lecture et les livres en Nouvelle-France, nous vous donnons rendez-vous le 10 juin 2008.
Sources
- DUFOUR, Andrée. Histoire de l'éducation au Québec. [Montréal]: Boréal, 1997. 123 pages.
- DUFOUR, Andrée et Micheline Dumont. Brève histoire des institutrices au Québec, de la Nouvelle-France à nos jours. Montréal, Boréal, 2005. 219 pages.
- FAHMY-EID, Nadia. «L’éducation des filles chez les Ursulines de Québec sous le Régime français». dans Nadia Fahmy-Eid et Micheline Dumont, dir. Maîtresses de maison, maîtresses d'école: femmes, famille et éducation dans l'histoire du Québec. Montréal, Boréal Express, [1983]. Pages 49 à 76.
- MELANÇON, François. «Façonner et surveiller l’intime: lire en Nouvelle-France», dans Manon Brunet et Serge Gagnon, dir. Discours et pratiques de l'intime. Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993. Pages 17 à 39.
Le livre, nourriture de l’âme
S’il y avait eu des bibliothèques publiques dans la vallée du Saint-Laurent sous le Régime français, elles auraient été bien différentes de celles que nous connaissons aujourd’hui. Loin d’être calmes et silencieuses, on peut supposer qu’elles auraient été plutôt bruyantes. En effet, la lecture est avant tout une activité orale à l’époque de Marguerite Bourgeoys. Une minorité des lecteurs seulement la maîtrisent assez bien pour la pratiquer silencieusement.
La lecture à haute voix est présente sur une base régulière dans la vie des colons de la Nouvelle-France. Par exemple, lors des offices religieux, prières et autres textes liturgiques sont récités en commun. Lors de rassemblements villageois, c’est à haute voix que sont lues les ordonnances du gouverneur. Dans l’intimité des familles, nombre de lectures se font oralement, pour le bénéfice de tous.
Apprise à partir de textes pieux dès la petite école, la lecture demeure, pour la majorité des personnes alphabétisées, intimement liée à la religion. Durant la scolarisation, cette relation est d’ailleurs approfondie. Les maîtres invitent les élèves à lire quotidiennement des livres de dévotion. Ils conseillent de les lire lentement afin de bien «savourer le sens» des textes. Le livre doit en effet «nourrir et fortifier» leurs âmes.
La lecture étant bénéfique pour la foi, les autorités religieuses encouragent la circulation des livres. Elles suggèrent des titres et vont jusqu’à importer et distribuer des livres. Les ouvrages qui s’éloignent des valeurs chrétiennes engendrent toutefois la méfiance. L’Église demande aux fidèles de confesser tout contact avec des livres défendus, ainsi que la lecture de romans et de comédies menaçant la chasteté.
Dans les inventaires des marchands de la colonie, et chez les habitants ayant la chance de posséder un ou plusieurs livres, l’ouvrage de piété occupe, conséquemment, une place dominante. Il faut dire que l’acquisition d’un ouvrage de médecine, de droit ou d’une oeuvre littéraire relève de l’exploit, les marchands n’en offrant pas et les intéressés devant se tourner vers l’importation ou les volumes usagés. Certains membres de l’élite accèdent néanmoins à une grande variété de titres. Par exemple, au 18e siècle, la petite-fille d’Élisabeth Bégon lit des romans, du théâtre et des traités de science.
Si bien peu d’habitants, à l’époque de la Nouvelle-France, ont la possibilité de s’adonner à la lecture, encore moins nombreux sont ceux qui peuvent écrire. Pour en connaître davantage sur le maniement de la plume et sur ceux qui en font un métier, nous vous donnons rendez-vous le 24 juin 2008.
Sources
- MELANÇON, François. «Façonner et surveiller l’intime: lire en Nouvelle-France», dans Manon Brunet et Serge Gagnon, dir. Discours et pratiques de l'intime. Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1993. Pages 17 à 39.
- MONTREUIL, Sophie et Isabelle Crevier, dir. «Tous ces livres sont à toi!»: de l'Oeuvre des bons livres à la Grande bibliothèque (1844-2005). [Montréal], Bibliothèque nationale du Québec et les Presses de l'Université Laval, 2005. 181 pages.
«Prête-moi ta plume»: l’écrivain public et le notaire
Prendre la plume «pour écrire un mot», au 17e siècle, est une activité complexe qui nécessite tout un attirail: papier, plumes, canif, encre, instrument à gratter le papier, agate, sablier, écritoire. Sous le Régime français, les individus sachant se servir de ces instruments et ayant la capacité d’écrire sont rares. Certains d’entre eux en font un métier et mettent leur précieuse habileté au service de la population, ce sont les écrivains publics et les notaires.
Le papier utilisé par les professionnels de la plume est confectionné de façon artisanale, à partir de chiffons de lin ou de coton. Sa couleur dépend des fibres textiles utilisées, de même que de la pureté de l’eau. La majorité des papiers sont ainsi de couleur foncée, allant de brun clair à gris, ceux faits à partir de lin fin étant blancs. Pour donner une illusion de blancheur, des fabricants ajoutent aux papiers foncés une teinture bleue.
Pour tracer les lettres, la plume de l’oie domestique est l’outil qui a la meilleure réputation. Sa préparation nécessite tout un savoir-faire. Il faut enlever l’humidité, la graisse et les membranes de la tige, puis tailler et retailler régulièrement le bec avec un canif. Certains taillent même les barbes de la plume pour la rendre plus légère et plus facile à tenir.
La plume est trempée dans un encrier de faïence, de verre ou de bronze. Noire ou rouge, l’encre peut être réalisée de façon domestique. L’encre pose sont lot de problèmes puisqu’elle peut geler, moisir, se renserver, se remplir de saletés. Pour accélérer le séchage de l’encre, on la saupoudre d’une substance absorbante telle la seiche moulue, le sable ou le mica noir, conservée dans un sablier. Une erreur dans le texte est grattée à l’aide d’une lame jusqu’à ce qu’une minuscule couche de papier soit retirée. L’erreur peut aussi être biffée. Le papier gratté doit ensuite être poli avec une agate ou le manche d’un couteau.
En France, les écrivains publics s’installent avec tout leur matériel en bordure des rues, bien à la vue. Ils écrivent de tout, depuis les lettres d’amour jusqu’aux requêtes adressées au roi. Certains produisent même de faux documents. En Nouvelle-France, l’un de ces écrivains publics se nomme Daniel Normandin. Arrivé en tant que soldat en 1684, il délaisse la vie militaire pour se promener dans les campagnes avec une écritoire portative. Il offre à ses clients de rédiger pour eux une variété de textes, de leur lire des documents, de leur donner des conseils en matière légale. Installé dans la région de Trois-Rivières, il se qualifie plus tard de notaire royal.
Les notaires sont d’autres figures importantes permettant à une population analphabète d’accéder au monde de l’écrit. Alors qu’au début du 17e siècle une entente verbale suffit pour officialiser une transaction en Nouvelle-France, l’augmentation de la population rend nécessaire l’imposition de procédures et la mise par écrit des différentes conventions. Le première personne assumant les tâches notariales à Québec est le greffier Nicolas, à partir de 1621. En 1649, le premier notaire public, Guillaume Audouart, est officiellement désigné, puis sont nommés quelques notaires seigneuriaux et, en 1663, le premier notaire royal. À partir de ce moment, la profession est mieux encadrée. On demande aux notaires, par exemple, de faire relier leurs minutes et de les conserver, en inscrivant bien l’année.
Sous le Régime français, n’importe qui, ou presque, peut devenir notaire en autant de savoir écrire et de se montrer bon chrétien. Les connaissances juridiques sont vérifiées très sommairement. Les notaires sont appelés à rédiger une variété de documents: contrats de mariage, concessions de terres, inventaires de biens, contrats d’embauche, recensements. Mal payés, les notaires doivent souvent avoir d’autres occupations. Plusieurs sont aussi arpenteurs, greffiers, huissiers, médecins, commerçants, juges. Là où il n’y a pas de notaires, certaines personnes ayant la capacité d’écrire rédigent des actes qui sont, par tolérance, reconnus. Il s’agit par exemple des seigneurs, des officiers de milice et des prêtres missionnaires.
Utile dans le monde des affaires, l’écriture est aussi très appréciée dans les familles de l’élite qui, par la correspondance, arrivent à entretenir des liens uniques avec leurs parents et amis éloignés. Pour en connaître davantage sur l’art épistolaire sous le Régime français, nous vous donnons rendez-vous le 8 juillet 2008.
Sources
- DOUVILLE, Raymond. «Daniel Normandin», Dictionnaire biographique du Canada, tome 2, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Page 521.
- HARRISON, Jane E. Adieu pour cette année: la correspondance au Canada, 1640-1830. Montréal, XYZ, 1997. 181 pages.
- MÉTAYER, Christine. Au tombeau des secrets: les écrivains publics du Paris populaire, Cimetière des Saints-Innocents, XVIe-XVIIIe siècle. Paris, Albin Michel, 2000. 456 pages.
- VACHON, André. Histoire du notariat canadien, 1621-1960. Québec, les Presses de l'Université Laval, 1962. 209 pages.
Quelle joie de recevoir de vos nouvelles!
Dans les correspondances familiales anciennes, un thème revient constamment sous la plume des épistoliers: l’attachement envers la famille. Dans les lettres, la joie ressentie lors de la réception d’une missive est très souvent soulignée, les sentiments d’affection sont exprimés avec effusion dans les formules de salutation, différents souhaits de santé et de bonheur sont présentés aux destinataires. Pour les familles de l’élite, trop souvent séparées par de grandes distances, les lettres sont précieuses. En transmettant les nouvelles et les sentiments d’amitié, elles entretiennent et solidifient les liens familiaux. Or, faire parvenir à bon port de telles lettres n’est pas une mince affaire en Nouvelle-France, où il n’existe ni bureau de poste, ni service postal officiel.
Les lettres envoyées sont généralement rédigées sur une seule feuille de papier pliée en deux, la dernière «page» servant d’enveloppe. En cas de panne d’inspiration, des manuels proposent aux épistoliers des modèles de lettres pouvant être copiés ou adaptés. Quand la lettre devient très longue, plusieurs correspondants réalisent de véritables tours de force pour éviter d’utiliser une feuille supplémentaire. Certains écrivent de plus en plus petit, d’autres écrivent perpendiculairement, créant un quadrillage avec le texte.
Une fois pliée, la lettre mesure une dizaine de centimètres. En guise d’adresse, le nom et la ville suffisent généralement. La lettre est scellée en pressant un cachet sur de la cire chaude, généralement rouge, à l’endroit où les deux parties de la lettre se chevauchent. De la cire noire annonce habituellement un décès. En l’absence de cire, les lettres peuvent être scellées avec un petit disque rouge fait de farine, d’eau et de gomme qu’on mouille avant de le presser avec le cachet. À l’ouverture de la lettre, les cachets ont tendance à arracher une parcelle de papier et à effacer une partie du texte. Prévoyants, certains correspondants évitent d’écrire aux endroits les plus vulnérables.
La lettre est prête pour l’expédition. La façon la plus sûre d’envoyer une lettre est de la confier à une connaissance ou à un proche sur le point d’entreprendre lui-même le voyage. Plusieurs lettres, ainsi, sont écrites non parce que l’expéditeur en a envie, mais parce qu’une «occasion» se présente à lui. Les voyages sur le continent nord-américain sont pénibles. Les routes étant rares et mauvaises, on leur préfère souvent la voie fluviale. À partir de 1737, le chemin du Roy permet de voyager de Montréal à Québec en quatre jours. Sur cette route, des messagers circulent fort probablement, mais aucun système postal n’est officiellement mis sur pied avant 1760.
Pour les envois transatlantiques, les expéditeurs ne connaissant aucun voyageur peuvent confier leurs lettres à un capitaine de navire et faire appel, en France, à un agent pour expédier la lettre au destinataire. Correspondre avec un destinataire français est une activité saisonnière, qui ne peut avoir lieu que l’été. Plusieurs lettres peuvent être envoyées durant une même saison, selon la disponibilité des navires.
Sous le Régime français, de nombreuses lettres n’arrivent jamais à destination. Pour ceux qui les transportent, les occasions de les égarer ou de les oublier sont multiples. Devant l’incertitude quant au destin des lettres, il est courant d’envoyer plusieurs copies d’une même lettre, de résumer dans une missive les lettres antérieures et de demander au destinataire de lire les lettres destinées à d’autres personnes.
Ainsi se termine la série de chroniques portant sur l’alphabétisation en Nouvelle-France.
Sources
- GADOURY, Lorraine. La famille dans son intimité: échanges épistolaires au sein de l'élite canadienne du XVIIIe siècle. Montréal, Hurtubise HMH, 1998. 185 pages.
- HARRISON, Jane E. Adieu pour cette année: la correspondance au Canada, 1640-1830. Montréal, XYZ, 1997. 181 pages.