Chroniques
Les mille et un visages de Samuel de Champlain
De Samuel de Champlain, fondateur de Québec, on dit souvent qu’il est le père de la Nouvelle-France. Il est, en effet, le premier Français ayant choisi de se battre, contre vents et marées, pour mettre en place un établissement permanent dans la vallée du Saint-Laurent. Il pose également les bases du commerce des fourrures en entretenant de bonnes relations avec les peuples amérindiens. Sans sa détermination, la Nouvelle-France aurait-elle existé? Nombre d’historiens ont posé la question...
En 1908, lors du tricentenaire de Québec, plusieurs manifestations commémorent l’apport de ce grand homme. Samuel de Champlain est célébré dans des processions à caractère historique, son effigie apparaît sur des timbres-poste et sur des cartes postales. À l’aube du 400e anniversaire de fondation de la ville de Québec, Champlain suscite toujours l’admiration pour sa contribution importante à l’histoire de notre pays. Cette série de chroniques vous fera découvrir ou redécouvrir cet homme à la fois fascinant et énigmatique.

Carte géographique tirée de l’ouvrage de Champlain «Les voyages de la Nouvelle France occidentale (...)»
Source: ICMH no 90023, de Notre mémoire en ligne, produit par Canadiana.org
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Le jeune Samuel de Champlain

Samuel de Champlain, gravure par Decaris, vers 1850
Source: Bibliothèque et Archives nationales du Québec / P600,S5,PGN63
L’enfance de Samuel de Champlain est entourée de mystère. On ne connaît ni sa date de naissance, ni son rang social. Quelques maigres informations sur sa famille nous apprennent que son père est Antoine de Champlain, capitaine de la marine, que sa mère est Marguerite Le Roy et que son oncle, Guillaume Allène, aussi capitaine de navire, se rend en Afrique et en Amérique.
Champlain grandit à Brouage, une ville dynamique, ouverte sur le monde, idéale pour stimuler un esprit aventureux. Située dans le golfe du Saintonge, qui donne sur l’Atlantique, la région est, depuis l’Antiquité, une grande productrice de sel. Dévastée lors de la guerre de Cent Ans, la région se reconstruit durant les 15e et 16e siècles. La ville de Brouage est fondée en 1555. Port prospère, des navires aux multiples provenances y accostent. Certains mettent le cap sur l’Amérique du Nord, allant y chasser la baleine et y pêcher le poisson.
Lors des guerres de religion, Brouage est fortifiée par le roi Charles IX et devient un centre militaire. L’armée y reste présente par la suite car on en fait le siège de l’amirauté, d’où le roi entend contrôler les activités maritimes.
Près de Brouage, on retrouve deux écoles élémentaires protestantes, tout comme une académie qui enseigne aux jeunes gens à monter à cheval, à pratiquer l’escrime et à tracer des plans. Champlain a-t-il fréquenté ces endroits? Il est difficile de le savoir. Manifestement, il apprend l’art du dessin durant sa jeunesse, comme le prouvent les magnifiques cartes qu’on lui attribue. Il est toutefois possible que ce soit un ami de son père, Charles Leber Du Carlo, ingénieur et géographe du roi, qui le lui enseigne. Champlain apprend également à naviguer très jeune, comme il le déclare à la reine en 1613.
Le jeune Samuel de Champlain s’engage dans l’armée du roi Henri IV où il agit à titre de maréchal des logis. À la fin des guerres de religion, il se rend en Espagne pour entreprendre un voyage aux «Indes occidentales». Un compte rendu de ce voyage existe, qui pourrait être de Champlain. À son retour au pays, Champlain est reçu par le roi qui s’intéresse à ses récits et lui offre une pension de la cour.
Deux éléments sont alors réunis en France pour encourager l’exploration de l’Amérique et la fondation d’un établissement durable outre-mer. L’année 1598 marque en effet le début d’une période où le roi Henri IV s’intéresse beaucoup plus au Nouveau Monde. Il mandate des gens pour des expéditions, tout en leur octroyant des monopoles pour le commerce des fourrures.
Plusieurs représentants du roi partent ainsi en un court laps de temps. Parallèlement, des problèmes d’approvisionnement font augmenter la demande pour les fourrures de la Nouvelle-France, incitant les investisseurs à s’engager dans cette aventure devenue rentable.
C’est dans ce contexte favorable que Samuel de Champlain s’embarque en 1603 pour l’Amérique du Nord. Ce voyage, qui lui permettra d’acquérir une bonne connaissance des lieux à coloniser, aura une influence capitale sur son destin... et sur le nôtre.
Pour en savoir plus sur les voyages de Champlain, nous vous donnons rendez-vous le 25 décembre 2007.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions ; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain explorateur

Aquarelle: Champlain en canot indien, 1603
Source: Bibliothèque et Archives Canada / Crédit: John Henryca de Rinzy / Collection John Henryca de Rinzy / C-013320
Car d’un fleuve infini tu cherches l’origine
Afin qu’à l’avenir y faisant ton séjour
Tu nous fasses par là parvenir à la Chine
Marc Lescarbot *
À la fin du 15e siècle, les Européens sont en quête d’un chemin alternatif vers l’Asie. L’Amérique se présente à eux comme un obstacle inattendu qu’ils ont, jusqu’au 19e siècle, cherché à surmonter. Au sud du continent, Magellan découvre un détroit permettant d’accéder au Pacifique, mais la distance à parcourir sur cette route se révèle bien longue. Les contemporains de l’explorateur portugais se mettent alors à espérer l’existence, au nord, d’un détroit semblable, selon un principe de symétrie. Champlain consacre une bonne partie de sa vie à la recherche de ce passage nordique, comme bien d’autres le feront après lui.
En 1603, Champlain s’embarque à titre d’observateur pour un premier voyage en direction du Saint-Laurent, sur un navire commandé par François Gravé Du Pont. Très actif dans la découverte, Champlain interroge les Amérindiens, apprenant avec intérêt l’existence d’eau salée au nord de la rivière Saguenay, tout comme l’existence de grands lacs au-delà du sault Saint-Louis. Ces deux informations représentent pour lui autant d’espoirs de trouver le passage tant convoité. Champlain accompagne Gravé Du Pont dans l’exploration du fleuve. Il s’aventure sur le Richelieu, puis se dirige vers le sault Saint-Louis. L’embarcation dans laquelle il prend place ne leur permettant pas d’aller au-delà, Champlain se promet de revenir avec un canot. Ils ne sont pas les premiers Européens à naviguer sur le fleuve, mais Champlain est le premier à en faire une description aussi détaillée.
Sur le chemin du retour, une rencontre réoriente les projets d’exploration de Champlain. En effet, Jean Sarcel de Prévert, un commerçant malouin, lui parle de l’«Arcadie», une région mieux connue des Français, dont il vante les terres fertiles, les baies hospitalières et les mines prometteuses. L’Acadie est la destination du deuxième voyage de Champlain, dirigé par Pierre Dugua de Monts. Participant aux missions d’exploration, Champlain recherche les mines, repère les meilleurs endroits pour établir une colonie et évalue les chances de trouver le passage vers l’Asie. Il explore la baie Sainte-Marie, la baie de Fundy, la rivière Penobscot, longe jusqu’à Cape Cod la côte dite «de la Floride». Ils fondent à Port-Royal, en 1604, le premier établissement français durable en Amérique du Nord.
Les voyages suivants marquent un retour au Saint-Laurent. En 1608, Champlain remonte le fleuve en barque pour fonder Québec le 3 juillet. En 1609, il explore le Richelieu et se rend jusqu’au lac Champlain pour livrer bataille en compagnie de ses alliés amérindiens. En 1611, il se rend jusqu’à Montréal et baptise l’Île Sainte-Hélène en l’honneur de son épouse, Hélène Boullé.
L’exploration de l’intérieur du continent connaît une avancée majeure en 1613 et en 1615, alors que Champlain prend la direction des Grands Lacs. Accompagné de quelques Français et de guides amérindiens, il se rend en 1613 jusqu’à l’île aux Allumettes, et en 1615, il atteint le lac Huron. Il est le premier Européen à décrire cette rivière si importante pour le commerce des fourrures.
Connaissant bien le pays et étant les mieux équipés pour mener à bien de tels voyages, les Amérindiens sont des guides indispensables. Ils promettent à Champlain de l’aider si, en échange, il accepte de combattre leurs ennemis. Les parcours sont difficiles pour les Français qui doivent, entre autres, affronter les portages et les mouches. Champlain est robuste et garde le moral, comme l’illustrent ses récits. C’est dans l’une de ces expéditions que Champlain aurait perdu un astrolabe qui fut retrouvé au 19e siècle.
Après ce voyage, Champlain se consacre moins à l’exploration et davantage à la mise sur pied de la nouvelle colonie et à son administration. Il garde toutefois en tête, toute sa vie, le rêve de la Chine, espérant qu’un jour, les établissements fondés deviennent pour la France autant de postes de douane bénéficiant du commerce avec l’Orient.
Les explorations de Champlain ont grandement fait avancer la connaissance du territoire américain. Pour en savoir plus sur les cartes produites par Samuel de Champlain, nous vous donnons rendez-vous le 8 janvier 2008.
* Ces vers en l’honneur de Champlain, écrits en 1607, sont publiés dans les Muses de la Nouvelle-France.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- MONTEL-GLÉNISSON, Caroline. Champlain: la découverte du Canada. [Paris], Nouveau Monde éditions, 2004. 188 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain cartographe
En cartographie nord-américaine, Champlain fait figure de pionnier. Ses cartes, couvrant une région s’étalant du détroit de Nantucket aux Grands Lacs, sont les premières à être aussi précises. Avant lui, Cartier et Roberval n’avaient qu’esquissé sommairement des cartes à bord de leurs navires. Les cartes de Champlain sont considérées comme des références et elles furent rééditées de nombreuses fois, contrairement aux géographes du roi qui élaboraient leurs cartes à Paris, Champlain a l’avantage d’avoir relevé l’information lui-même, sur place.
Carte géographique tirée du tome III des «Oeuvres de Champlain»
Source: ICMH no 26835, de Notre mémoire en ligne, produit par Canadiana.org

Page titre d’un ouvrage de Champlain publié en 1632
Source: ICMH no 90023, de Notre mémoire en ligne, produit par Canadiana.org
Lors des expéditions, Champlain s’informe auprès des Amérindiens et leur fait dessiner des cartes. Il trace alors le profil grossier du territoire, qu’il précise au fil des voyages, notant les distances et plusieurs autres détails. Champlain intègre parfois des cartes amérindiennes dans les siennes. C’est le cas d’une carte qu’il élabore en 1616, dont toute une section s’inspire de la carte d’un chef outaouais, dessinée avec du charbon sur de l’écorce et échangée à Champlain contre une hache de fer.
Quand Champlain rédige des rapports pour le roi, il les accompagne souvent de cartes. De ces dernières, rares sont celles qui ont été conservées. Par bonheur, certains récits de voyage incluent des cartes. Champlain publie de tels ouvrages en 1604, 1613, 1620 et 1632. Comme les cartes, les récits renseignent le lecteur sur le territoire exploré.
Le récit de voyage de 1613 contient plusieurs cartes géographiques, seize petites, dont trois sont plutôt des dessins, et deux grandes, dont l’une se retrouve en deux versions. L’histoire de cette dernière est particulière. En 1611 et 1612, Champlain se consacre, en France, à la publication de son deuxième récit, réalisant une grande Carte Géographique de la Nouvelle Franse (sic), la plus complète de son époque. En effet, en plus des informations qu’il a recueillies, Champlain ajoute des détails provenant d’une carte illustrant les découvertes de Henry Hudson. Champlain apprend alors que Nicolas de Vignau se vante d’avoir rejoint la baie d’Hudson en remontant la rivière des Outaouais. Retournant en Nouvelle-France vérifier cette information, Champlain choisit de retarder la publication de son ouvrage. Pendant son absence, l’imprimeur commence à imprimer la carte. À son retour, en 1613, Champlain retravaille cette carte à même la plaque de cuivre, y ajoutant les résultats de ses plus récentes explorations. Le livre publié comprend, ainsi, deux versions de la même carte.
Le dernier récit de Champlain, publié en 1632, résume la carrière de l’explorateur et s’accompagne aussi d’une grande carte. Cette dernière n’est pas aussi exacte que les précédentes car elle intègre des informations que Champlain n’a pu vérifier lui-même, d’où une certaine confusion dans son tracé. Ce récit est publié au moment où la France se bat pour la restitution de sa colonie, peu après la prise de Québec par les Anglais. Dans le titre de son ouvrage, Champlain met ainsi l’emphase sur le fait que les territoires décrits sont découverts par les Français, sous l’autorité du roi. Dans ce contexte, les cartes, présentées comme des preuves des explorations françaises, appuient les revendications de la France.
À l’image de ses écrits, Champlain se révèle être un communicateur hors pair, capable de rallier les gens à son entreprise et de surmonter les obstacles se dressant sur sa route. Pour en savoir plus sur le travail effectué par Champlain auprès des riches et des puissants, nous vous donnons rendez-vous le 22 janvier 2008.
Source
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
Champlain promoteur d'un grand projet
Le commerce des fourrures en Nouvelle-France étant une entreprise rentable, les monopoles accordés par le roi de France sont très convoités. Dans la course au commerce colonial, nous retrouvons en lice les marchands de Saint-Malo, de Rouen, de La Rochelle, de Bretagne et de Normandie, se battant soit pour obtenir le précieux monopole, soit pour retrouver la liberté de commerce. C’est dans ce véritable panier de crabes que se présentent Samuel de Champlain et son patron et ami, Pierre Dugua de Monts. Ils travaillent d’arrache-pied à convaincre les puissants et à négocier avec des associés afin que se réalisent les projets qu’ils ont en tête pour la colonie.

Carte géographique tirée du tome III des «Oeuvres de Champlain»
Source: ICMH no 26835, de Notre mémoire en ligne, produit par Canadiana.org
Après quelques années d’essais infructueux, les premiers détenteurs du monopole commercial ne font pas progresser la colonie et le roi est insatisfait des résultats. La proposition présentée alors par Dugua de Monts a tout pour plaire. Mettant l’accent sur la colonisation, il s’engage à transporter les premières familles. Le monopole lui est octroyé, comme moyen de financement. Dugua de Monts prend avec lui Samuel de Champlain, déjà bien connu à la cour.
Suite aux pressions de certains opposants, le monopole de Dugua de Monts n’est pas reconduit après 1608 et les tentatives de Champlain pour faire révoquer cette décision sont vaines. Dugua de Monts et Champlain s’associent malgré tout avec quelques marchands pour poursuivre leur projet de colonisation, connaissant cependant beaucoup moins de succès.
En 1611, pour faire bouger les choses, Champlain présente au roi un nouveau mémoire. Suivant l’avis de son allié, le conseiller royal Pierre Jeannin, il suggère de confier le gouvernement de la Nouvelle-France à un membre de la haute noblesse, qui pourra s’appuyer sur des compagnies à monopole pour le financement. Cette proposition acceptée, Champlain est choisi comme lieutenant de ce haut personnage pour représenter l’autorité royale dans la colonie. Dugua de Monts n’est plus de la partie, mais il continue d’appuyer Champlain dans ses démarches.
C’est alors qu’est publié le deuxième récit de voyage de Champlain. De tels ouvrages sont une autre bonne façon d’appuyer ses projets, car par les livres, il fait découvrir la colonie à l’intelligentsia de l’époque, tout en se présentant comme celui qui en est l’expert.
Malgré son titre de lieutenant du vice-roi de la Nouvelle-France, Champlain n’est pas au bout de ses peines. La colonisation de la Nouvelle-France est soutenue par une association de marchands qui prend le nom de «Compagnie de Canada». Les relations avec ces associés ne sont pas toujours harmonieuses. Même s’ils ne cherchent pas à l’assassiner, comme d’autres le feront, certains associés refusent son autorité. Quand le vice-roi de la Nouvelle-France est emprisonné en 1616 et qu’un autre est nommé, Champlain se voit refuser l’embarquement par l’associé Daniel Boyer, sous prétexte qu’il n’est plus le lieutenant du vice-roi légitime. Un problème semblable survient vers 1619, forçant Champlain à aller encore une fois plaider sa cause devant le roi.
Afin d’obtenir encore plus d’appuis, Champlain présente en 1618 deux mémoires, l’un au roi et l’autre à la Chambre du Commerce. Il plaide en faveur de la Nouvelle-France, vantant tous les avantages que la France peut y trouver: un vaste territoire habitable, un passage vers la Chine, des ressources diversifiées telles le goudron, les racines à teinture, le chanvre, le bétail, les vignes, le métal et le bois. Champlain mentionne aussi les milliers d’âmes à convertir à la foi chrétienne, un argument de poids qui gagne à sa cause les cardinaux et les évêques de France.
Chaque fois que Champlain est de retour dans la mère patrie (à partir de 1603, il traverse l’Atlantique vingt-trois fois), il travaille à consolider ses appuis et à se faire de nouveaux collaborateurs. En 1630, il est de ceux qui bataillent pour faire restituer Québec, après sa prise par les Anglais. À la fois homme de terrain et adroit communicateur, il réussit à s’imposer.
Fin diplomate à la cour du roi, Champlain est tout aussi habile quand il s’agit de parlementer avec les Amérindiens. Pour en connaître davantage à ce sujet, nous vous donnons rendez-vous le 5 février 2008.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain et les Amérindiens

Aquarelle: Champlain qui échange avec les Indiens (sic)
Source: Bibliothèque et Archives Canada / Crédit: Charles William Jefferys / Fonds Charles William Jefferys / C-103059
L’une des plus grandes réalisations de Champlain est d’avoir posé les bases d’une alliance avec les peuples montagnais, algonquins et hurons. Cette alliance permettra aux Français de s’installer paisiblement sur le territoire, tout en consolidant un vaste réseau de traite. Champlain la rend concrète de multiples façons, allant jusqu’à risquer sa vie en rencontrant les Amérindiens dans leurs villages et en les accompagnant lors de luttes armées.
Quand Champlain débarque en 1603 dans la vallée du Saint-Laurent, la région est peuplée de Montagnais et d’Algonquins, peuples nomades vivant de pêche, de chasse et de cueillette. Ils sont alliés des Hurons, un peuple sédentaire et horticole habitant dans la région des Grands Lacs. Les Montagnais établis dans la région de Tadoussac, tout comme les Algonquins établis près de la rivière des Outaouais, participent activement à la traite des fourrures, occupant un rôle d’intermédiaires entre les Européens et les autres tribus.
Dès son arrivée, Champlain est témoin d’un événement diplomatique important: la première entente documentée entre le roi de France et les peuples de l’Amérique du Nord. Le 27 mai 1603, deux jeunes Montagnais, revenant de France où ils ont rencontré Henri IV, prennent la parole en présence de plusieurs chefs autochtones. Ils racontent leur séjour en Europe et transmettent le message du roi: la France s’engage à aider les Amérindiens à ramener la paix dans leur pays déchiré, si en échange ils permettent aux Français de s’y installer. La proposition est formellement acceptée par le chef Anadabijou.
Champlain compte beaucoup sur ses alliés amérindiens pour connaître et explorer le pays. Afin de pouvoir bien communiquer avec eux, il prévoit la formation de truchements. En 1610, Champlain confie un jeune homme, probablement Étienne Brûlé, à un chef algonquin pour qu’il apprenne la langue huronne. D’autres suivront ses traces, tel Nicolas de Vignau et Thomas Godefroy, qui apprennent, de plus, à vivre à l’amérindienne.
Avec les Autochtones, Champlain se montre aimable et bon vivant, les faisant souvent rire. Pour gagner leur respect, il exécute des prouesses, franchissant, par exemple, devant eux, des rapides en canot. Toujours, il prévoit des cadeaux à leur offrir. Chez ces peuples, la capacité de donner est en effet un signe de puissance. Champlain prend aussi avec lui des protégés amérindiens, comme le jeune huron Savignon, qu’il mène en France, et trois filles adoptives, nommées Foi, Charité et Espérance, qu’il aurait aimé faire instruire en France. L’argument qui lui fera toutefois le mieux gagner l’amitié des Amérindiens est sans nul doute sa participation à leurs guerres. Champlain mène en personne trois expéditions militaires, concrétisant ainsi la promesse du roi.
Les bonnes relations qu’établit Champlain avec les Amérindiens lui permettent de bénéficier de leur aide quand vient le temps d’explorer le Richelieu ou la rivière des Outaouais. Cette collaboration n’est toutefois pas toujours parfaite et comporte des ratés. En effet, les Amérindiens jouissant d’une position privilégiée auprès des Français espèrent empêcher qu’ils ne côtoient d’autres groupes. Ils tardent à réaliser certaines promesses et empêchent des voyages. De son côté Champlain est parfois retenu en France. Il ne se présente pas à deux rendez-vous, au grand mécontentement des alliés qui l’attendent pour guerroyer.
En 1613 et 1615, Champlain invite les Algonquins et les Hurons à s’installer à Montréal, où les terres sont fertiles. Les Amérindiens répondent qu’ils iront quand une habitation sera construite, ce à quoi Champlain acquiesce. Sédentariser les Amérindiens près des centres de colonisation apparaît être pour Champlain, comme pour le récollet Le Caron, une façon de faciliter leur évangélisation. En 1622, Champlain réussit à installer quelques Montagnais près de Québec, influençant de plus le choix de leur chef.
Pour amener la paix parmi les Amérindiens, Champlain ne se limite pas qu’à faire la guerre. Il participe aussi aux rencontres diplomatiques. Ainsi, en 1622, des Iroquois venus négocier la paix sont reçus par Champlain, qui persuade ses alliés d’envoyer des hommes en Iroquoisie en signe de bonne amitié. En 1623, Champlain intervient comme médiateur dans une querelle entre Hurons et Algonquins, et en 1627, il envoie un Français au pays des Iroquois pour empêcher une nouvelle guerre.
Les maladies contagieuses transportées par les Français sont, malheureusement, un élément pouvant nuire à l’établissement de bonnes relations avec les peuples autochtones. Les Amérindiens étant beaucoup plus fragiles que les Européens à certaines maladies, ils souffrent lors de grandes épidémies qu’ils associent rapidement à la présence des Européens. Les missionnaires en subissent particulièrement les conséquences, étant regardés avec suspicion. Heureusement pour lui, Champlain n’affronte pas d’épidémie majeure.
De retour en France, Champlain met par écrit ce qu’il a vu. Ses récits de voyage contiennent de nombreuses informations sur les groupes Amérindiens: les habitations, les vêtements, les croyances, la vie économique, politique et familiale, etc. Pour les contemporains de Champlain, tout comme pour les historiens d’aujourd’hui, ils sont une source précieuse de renseignements.
L’action guerrière de Champlain a eu de graves conséquences, consolidant les relations avec certains groupes, mais créant de nouveaux ennemis pour les Français. Pour en connaître davantage sur la vie militaire de Champlain, nous vous donnons rendez-vous le 19 février 2008.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions. Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain guerrier

Illustration tirée du tome III des «Oeuvres de Champlain»
Source: ICMH no 26835, de Notre mémoire en ligne, produit par Canadiana.org
Originaire d’une ville qui connaît les réalités de la guerre, maréchal des logis pour l’armée, en France, Champlain n’hésite pas à faire appel, en Nouvelle-France, à son expérience militaire. Prenant part à trois expéditions guerrières, il concrétise la promesse du roi de soutenir militairement ses nouveaux alliés. L’ennemi, c’est la confédération iroquoise des Cinq-Nations. Le contrôle de la vallée du Saint-Laurent, un axe commercial stratégique, serait à l’origine du conflit.
En 1609, Champlain s’engage sur la rivière Richelieu, avec deux Français et une soixantaine d’Amérindiens, pour combattre deux cents Iroquois. C’est près de Ticonderoga qu’a lieu la bataille. Les armes à feu des Français sèment la panique. Champlain tue trois chefs ennemis avec une arquebuse, gagnant le respect des Amérindiens. L’année suivante, Champlain est attendu par ses alliés pour repartir en guerre. Cette fois, les Iroquois construisent une barricade à l’embouchure du Richelieu. Au cours de cette deuxième victoire, Champlain est blessé à l’oreille.
En 1615, le point de départ de l’expédition est le village de Cahiagué, en territoire huron. Les alliés entreprennent un périple de plus d’un mois pour arriver à un fort iroquois entouré de quatre grandes palissades. En prévision du siège, Champlain a recours à des techniques européennes: il construit un cavalier et des mantelets. Malheureusement, les Amérindiens sont impatients et indisciplinés. Au lieu d’un siège, on assiste à trois heures d’escarmouches désorganisées au cours desquelles Champlain est blessé. Suite à cette défaite, les Amérindiens devront attendre plusieurs décennies avant que la France ne renouvelle son engagement militaire auprès d’eux, ce qu’elle ne fera que vers 1660, avec l’envoi du régiment de Carignan-Salière.
De son côté, Champlain doit affronter une nouvelle menace quelques années plus tard, celle des Anglais. Ces derniers réussissent à prendre et à occuper Québec, de 1629 à 1632. C’est une famille de marchands, les Kirke, qui est à l’origine de cette attaque. Dans le cadre d’une guerre opposant la France à l’Angleterre, en 1628, ils débarquent au Cap Tourmente où ils capturent cinq colons. Alertés, les Amérindiens en informent Champlain. La colonie française manque de tout mais Champlain espère l’arrivée imminente de renforts. Fin stratège, il annonce à ses ennemis qu’il est capable de tenir et qu’il les attend de pied ferme, convainquant les Kirke de retourner en Europe.
Les Kirke reviennent l’année suivante. Champlain, sachant la colonie trop faible pour combattre, préfère négocier. Un traité de paix entre la France et l’Angleterre venant par ailleurs d’être signé, ce à quoi les Kirke ne veulent croire, Champlain compte retrouver bien vite sa Nouvelle-France. Quelques colons français quittent avec leurs biens, d’autres choisissent de rester. Une courte bataille a lieu en mer, à l’arrivée des navires du français Émery de Caën, mais Champlain négocie rapidement l’arrêt des hostilités.
En 1629, Champlain ne joue pas le brave, mais prend de sages décisions pour le bien-être de la colonie. Pour en savoir davantage sur l’administrateur qu’a été Champlain, nous vous donnons rendez-vous le 4 mars 2008.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions ; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain administrateur
Après deux voyages en Nouvelle-France réalisés à titre d’observateur, Champlain obtient rapidement un poste de commandement, d’abord à titre de lieutenant de Pierre Dugua de Monts, puis de lieutenant du vice-roi de la Nouvelle-France. Il devient alors le représentant officiel du pouvoir royal dans la colonie. Or, si l’homme d’action qu’est Champlain excelle quand il s’agit de partir à l’aventure, l’administration au quotidien de la petite installation lui donne un peu de fil à retordre.
Dans les premières années, Champlain ne fait que de très courts séjours à Québec. Ce n’est qu’en 1620 que ce petit poste devient sa demeure principale jusqu’à sa mort survenue en 1635, exception faite d’un voyage de deux ans en France (1624-1626), et de l’occupation anglaise (1629-1632). Quand il gouverne, Champlain ne le fait pas de façon autoritaire, mais plutôt à la façon d’un capitaine de navire. Pour les décisions importantes, Champlain écoute l’opinion de plusieurs personnes et tente d’obtenir un consensus. En 1621, Champlain autorise ainsi aisément une assemblée générale des habitants qui charge le récollet Le Baillif d’aller présenter en France les griefs du pays. Les premières ordonnances de Québec sont publiées peu de temps après. Les hommes de Champlain ont beaucoup de respect pour lui. Toutefois, ils n’obéissent pas toujours à ses ordres.
Lors des expéditions d’exploration, Champlain repère les meilleurs endroits pour s’installer. À Québec, la première tâche qui l’attend est de construire une habitation pour abriter vivres, marchandises et colons. Les travaux de construction et de réparation des bâtiments sont une priorité pour Champlain qui y consacre beaucoup de temps et de ressources. Champlain entreprend ainsi de construire un fort sur le Cap Diamant, une grande habitation et une chapelle. Certains lui reprochent son entêtement dans de tels projets, alors que la colonie a d’autres besoins, plus urgents.
Le ravitaillement alimentaire est une préoccupation constante pour Champlain, la colonie se trouvant souvent en situation de pénurie. C’est à lui qu’incombe la difficile tâche d’évaluer la quantité de vivres et de garder ou de renvoyer certains colons. Champlain est conscient de l’importance de l’agriculture pour l’indépendance de la colonie. Or, il laisse ce dossier à d’autres, comme le colon et apothicaire Louis Hébert. L’agriculture se développe ainsi très lentement. En 1628, c’est sous la menace de la famine qu’est construit le premier moulin. Pour ce qui est de l’élevage, c’est en 1626 que sont construites au cap Tourmente les installations permettant aux colons de s’y installer, afin de récolter le foin, de l’engranger et d’y élever des bêtes.
En plus des problèmes d’alimentation, Champlain doit faire face au scorbut qui fait des ravages parmi les habitants. À Port-Royal, à l’hiver 1606-1607, Champlain a une bonne idée pour contrer cette maladie. Supposant que les viandes salées sont la cause du problème, il crée l’ordre de Bon Temps, dont les participants, à tour de rôle, chassent et pêchent pour nourrir les autres. Cet hiver là, aucun des membres de l’ordre ne souffre du scorbut. L’expérience ne sera malheureusement pas répétée à Québec.
En plus de ses tâches de gestion, il revient à Champlain de s’occuper de la justice. Parmi les gestes qu’il pose dans ce domaine, le plus important est sans aucun doute la condamnation à mort et l’exécution de Jean Duval, qui a voulu l’assassiner en 1608. Champlain organise le procès en suivant une procédure similaire à celle qui est en cours dans la marine. Il fait mettre par écrit les dépositions des condamnés devant le pilote du navire, les mariniers et plusieurs autres personnes, dont François Gravé Du Pont. Il confronte ensuite les témoignages des accusés et des témoins avant de rendre son verdict.
Aux yeux de certains, Champlain ne s’implique pas assez dans le développement de l’agriculture coloniale. Pourtant, dès son deuxième voyage, il s’intéresse au jardinage et note plusieurs observations. Pour en savoir plus sur l’intérêt de Champlain pour la botanique, nous vous donnons rendez-vous le 18 mars 2008.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.
Champlain ethnobotaniste

Dessin: Champlain.
Source: Bibliothèque et Archives Canada.
Crédit: George Agnew Reid Fonds George Agnew Reid, C-011016
Au cours de ses voyages en Amérique du Nord, Champlain recueille une grande quantité d’informations qu’il présente à ses contemporains. S’intéressant aux ressources naturelles du pays, il vérifie de ses propres mains la fertilité de la terre et fait au sujet du «jardinage» des expériences qu’il documente. Ces renseignements sont essentiels pour toute personne souhaitant s’impliquer dans l’entreprise de la Nouvelle-France. Sans l’agriculture, comment la colonie pourrait-elle survivre?
En 1604, Champlain est témoin des premiers essais horticoles à l’Île Sainte-Croix. Puis, à Port-Royal, il aménage un petit jardin et construit une écluse pour y conserver des truites. Il n’est pas le premier explorateur à s’être mis les mains dans la terre, Jacques Cartier ayant fait de même avant lui. À Port-Royal, l’agriculture semble se porter plutôt bien. On y retrouve, dès les premières années, une diversité de légumes, de légumineuses, d’herbes, de fruits et de céréales. On croit même bon de construire en 1606, un moulin à farine.
Quand Champlain fonde Québec, il ne tarde pas à faire défricher la terre près de l’Habitation. Il tente d’y semer, dès octobre 1608, du blé et du seigle apportés de France afin de savoir si les semences lèveront au printemps. Il plante aussi des arbres fruitiers et des vignes françaises. Quelques années plus tard, Champlain décrit la beauté des pois, maïs, fèves, citrouilles, légumes-racines, choux, poireaux et fines herbes récoltés à Québec. Il transporte un peu de blé québécois en France pour illustrer la fertilité du pays.
Des essais horticoles sont aussi réalisés dans la terre grasse ou argileuse de Montréal. Champlain y fait aménager deux petits jardins, l’un dans la prairie, l’autre du côté de la forêt. Les graines semées en juin y poussent bien.
Le climat est une autre réalité observée par Champlain. Il note la date des premières gelées, le moment de la chute des feuilles. Au mois de mai 1620, il décrit l’arrivée du printemps, notant les dates d’éclosion des feuilles, les floraisons, le moment où certaines plantes sont prêtes pour la récolte. Ces informations sont utiles aux cultivateurs qui, affrontant un climat différent de celui de la France, doivent ajuster leur calendrier.
À l’époque des premiers habitants de Québec, le développement de l’agriculture est une nécessité. Pour eux, il est impératif d’adapter, le plus rapidement possible, leurs façons de cultiver à ce nouvel environnement, tout en sachant tirer profit des nouvelles espèces découvertes.
C’est ainsi que se terminent les chroniques consacrées au premier grand colonisateur du Canada, Samuel de Champlain. Nous vous donnons rendez-vous le 1er avril 2008 avec une nouvelle série de chroniques.
Sources
- LITALIEN, Raymonde et Denis Vaugeois (dir). Champlain: la naissance de l'Amérique française. [Paris], Nouveau Monde éditions; Sillery, Septentrion, 2004. 397 pages.
- MONTEL-GLÉNISSON, Caroline. Champlain: la découverte du Canada. [Paris]: Nouveau Monde éditions, 2004. 188 pages.
- TRUDEL, Marcel. «Samuel de Champlain», Dictionnaire biographique du Canada, tome 1, [Québec], Presses de l’Université Laval, 1966. Pages 192 à 204.